Chapitre 62. « Message personnel »
(mercredi 24 avril 2024)
L'avantage quand on a touché le fond, c'est qu'après, il n'y a plus qu'à remonter. En ce qui me concerne, je ne l'ai pas seulement touché, je l'ai carrément raclé. Et puis bien comme il faut. J'ai passé des heures interminables à chouiner sur mon sort en traitant mon reflet de gourdasse pour avoir quitté Elias ou bien à tenter de me convaincre que j'avais pris la bonne décision et qu'il valait mieux qu'on s'évite plus de peine.
J'ai surtout réalisé que nous allions bientôt devenir parents et que le bien-être de notre enfant s'imposerait alors comme notre priorité absolue. Malgré notre rupture, Elias reste présent au quotidien et a conservé la clé de mon appartement ; nos réflexions sur la parentalité datant de l'époque où nous songions à demeurer chacun chez soi sont de nouveau d'actualité.
Je m'autorise parfois à aller vers lui, en manque de son affection et de sa tendresse, néanmoins, de son côté, il veille à garder une certaine distance. Je ne peux lui en vouloir de se protéger de moi, bien que cela me peine. Ce ne sera plus comme avant entre nous, notre amitié complice est devenue un lointain souvenir.
Chaque jour qui passe me rapproche de la naissance de notre fille. Moi qui ai toujours été une vraie chochotte, je suis plutôt détendue. Il faut dire que j'ai mis le paquet question relaxation ces temps-ci : soins et massages en institut, sophrologie, yoga – même si je suis limitée dans mes mouvements, gros bidon oblige.
Je me doute bien que l'accouchement n'aura rien d'une partie de plaisir, cela dit, lorsque j'imagine mon bébé contre mon sein ou en train de dormir paisiblement dans les bras de son papa, gazouiller et s'éveiller, l'excitation prend le pas sur la peur. Tout est fin prêt pour son arrivée, il n'y a plus qu'à patienter que mademoiselle se décide.
Je passe mes journées à communiquer avec elle, lui chanter des chansons douces, lui raconter à quel point tout le monde l'attend, si bien que par moment, j'ai presque l'impression d'être folle à parler toute seule. C'est idiot, parce que je sais bien qu'elle m'entend et qu'elle ressent mes émotions.
Ce mercredi matin, j'émerge après une bonne nuit. Je pète le feu, mais je me sens autant démunie qu'une tortue sur le dos en plein soleil. Me mouvoir pendant ce dernier mois de grossesse est devenu une véritable épreuve à la Koh-Lanta. Je vais pourtant devoir fournir un effort pour me bouger, j'ai rendez-vous chez la gynécologue. Elias doit passer me récupérer pour m'y accompagner.
Je m'étire en bâillant, tâte le matelas à la recherche de mon portable pour regarder l'heure et...
Malheur ! Huit heures trente ! Je suis à la bourre ! Saloperie de réveil qui n'a pas sonné !
Hypothèse confirmée par l'arrivée d'Elias dans l'appartement.
— Ambre ? Tu es prête ? je l'entends m'appeler depuis le séjour.
Oups ! Il va me tuer, lui qui a horreur des retardataires...
— Euh, oui oui, presque.
Fait exprès, une soudaine crampe dans la plante du pied m'empêche de me lever. Me voilà à gesticuler comme un ver au beau milieu de mon plumard en couinant de douleur.
Elias me rejoint dans ma chambre et en me voyant dans cet état, il bondit à mes côtés.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— J'ai une crampe, ça me fait un mal de chien.
— Où ça ?
— Sous le pied. Argh, putain ! C'est horrible, je gémis en mordant dans mon oreiller.
— Arrête de bouger, je vais te soulager.
Il entame un massage de la zone sinistrée. Je me détends peu à peu à mesure que la douleur s'estompe.
— Oh, merci. J'en pouvais plus. Je suis désolée, j'ai oublié de me réveiller. On va être en retard.
— Ne t'en fais pas, va prendre ta douche, j'appelle la gynécologue pour la prévenir.
Il se relève et saisit son téléphone pour passer le coup de fil. Je suis dans l'incapacité de détacher mes yeux de lui. Mon amour m'explose en pleine tronche. Une larme traîtresse dévale ma joue, je l'essuie d'un revers de main.
Je suis vraiment trop conne ! Pourquoi l'ai-je quitté, bon sang ? Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui cloche à ce point chez moi ?
Je roule sur le côté, rampe hors du lit, et titube jusqu'à la salle de bain.
Je profite d'être seule pour pleurer tout mon soûl. Je pensais que la douleur de la rupture s'estomperait avec le temps. Que nenni ! Elle est toujours bien là, je m'y suis juste habituée, c'est tout.
Un quart d'heure plus tard, j'ai réussi à rentrer dans la Porsche, de moins en moins adaptée à mon état. Or, quand on a le privilège d'être véhiculée, la moindre des choses, c'est d'éviter de la ramener. Je me mure dans le silence durant tout le trajet, ruminant mon chagrin tandis qu'Elias en profite pour appeler l'un de ses clients.
Le rendez-vous se passe bien, mes constantes et celles de la petite sont bonnes. Elle est bien positionnée et a commencé à descendre un peu. Espérons qu'il ne lui prendra pas l'envie de changer de sens d'ici à ce que vienne le moment de sortir. Il reste encore deux grosses semaines avant le terme, mais la gynécologue nous briefe sur les signes annonciateurs à surveiller. En puis, en ce moment c'est la pleine lune...
— Pas trop stressée ? me demande Elias alors que nous sommes sur le chemin du retour.
— Non, enfin, je ne crois pas. Ce n'est pas l'accouchement qui m'effraie, c'est la suite. Notre organisation, la logistique au quotidien...
— Ça ne sera pas évident les premiers temps, mais on y arrivera.
— Je tiens à ce que tu profites d'elle le plus possible. Que tu la vois changer et grandir chaque jour...
Ma gorge se noue, je sens poindre les larmes. J'ai tellement peur de le priver de moments précieux, ça m'arrache le cœur rien que d'y songer. Je ravale mes sanglots et tourne la tête sur ma droite pour regarder vers l'extérieur.
— Fais-nous confiance, Maya.
Il ne m'avait plus appelée comme ça depuis trois semaines. Une éternité.
À l'arrêt à un feu rouge, il s'empare de ma paume gauche. Ses doigts chauds glissent sur ma peau, me provoquant de légers picotements. Les paupières closes, je suffoque, mon cœur bondit dans ma poitrine alors que j'inhale à pleins poumons l'air de l'habitacle empli de son parfum. De tendres souvenirs de nous ressurgissent dans mon esprit.
Le feu passe au vert, il ôte sa main et redémarre. Je ressens déjà le manque, j'ai besoin de le toucher, de le retrouver. Il n'y a que lui pour me faire éprouver de telles sensations. J'ose effleurer son avant-bras. Il me lance un regard furtif, accompagné d'un sourire discret et reporte son attention sur la route. Je frémis, au bord de l'évanouissement. Il est impératif que je lui confie ce que j'ai réellement sur le cœur. D'une voix chevrotante, je lui livre mes pensées :
— Pardonne-moi, Elias. Je me sens idiote, à un point que tu n'imagines pas. Je regrette les horreurs que j'ai pu te dire. Je n'ai pas su t'écouter ni te comprendre. Peut-être même que je ne sais pas t'aimer comme il le faudrait...
— N'y songe plus, on doit aller de l'avant maintenant.
Comment interpréter cette phrase ? Pourrions-nous à nouveau n'être plus qu'un ? Ou bien devons-nous avancer dans nos vies chacun de notre côté ?
***
Le syndrome de nidification. Quand nous avons découvert l'existence de ce truc avec Elias, il y a des semaines de ça, nous avons ri un moment. J'ai trouvé un peu exagéré ce qui se racontait au sujet de ce comportement des femmes enceintes à l'aube d'accoucher. J'ai toujours été organisée, je n'ai pas attendu d'arriver à la fin de ma grossesse pour tout préparer.
Et pourtant, depuis ma visite chez la gynécologue deux jours plus tôt, j'ai passé des heures à ranger, nettoyer, plier, empiler... défaire et refaire. Une véritable crise d'hyperactivité. Et aucune possibilité de contrôler ça. Comme les sautes d'humeur pendant le syndrome prémenstruel qui vous transforme en dragon colérique.
Résultat : à ne pas tenir en place, la nuit a été dure, j'ai ressenti des contractions à plusieurs reprises. Ni trop violentes ni rapprochées, mais assez fortes pour me rappeler que le terme est pour bientôt et qu'il faut que je cesse de m'agiter tout le temps.
Je suis donc restée au calme dans mon lit une partie de la matinée, à méditer, avec Tanit sur mon ventre en guise de bouillotte. Pour le moment, pas de fuites à déplorer, je peux encore marcher, c'est que tout va bien. Mon corps et bébé se préparent doucement. Je suis sereine.
C'est finalement la complainte de mon estomac en détresse qui me pousse à me lever vers dix heures. Je n'ai rien mangé depuis la veille au soir, j'ai une dalle d'enfer. Et dans ces moments-là, rien ne vaut un brunch bien copieux, la formule complète avec les œufs au plat, les tartines et tout le tremblement.
En pleine délectation de mon déjeuner, l'interphone sonne.
Quelle personne est suffisamment téméraire pour oser interrompre le repas d'une bête affamée ?
Un livreur avec un bouquet. Des roses colorées au parfum envoûtant, accompagnées d'une lettre. Je reconnais tout de suite cette écriture élégante, mon cœur s'emballe.
Je dispose les fleurs dans un vase, puis je m'assieds dans le canapé pour lire la missive manuscrite, impatiente d'en découvrir le contenu.
Maya Chérie,
Tu as souvent vanté mon éloquence et ma désinvolture, pourtant, si je suis à l'aise au quotidien ou quand je revêts ma robe noire, je ne peux en dire autant pour ce qui est de révéler mes sentiments.
Tu connais déjà une partie des ombres de ma vie et je m'apprête à te livrer le reste pour qu'enfin tu comprennes que j'ai une confiance aveugle en toi.
Antoine a prétendu que je t'ai utilisée pour me venger de lui, sache que ce n'est pas vrai. Je n'ai jamais eu l'intention de me jouer de toi.
Tu avais vu juste en soupçonnant qu'Agathe était une ancienne conquête. Pour ne rien te cacher, elle était plus que ça ; nous nous sommes rencontrés durant nos études de droit. À l'époque, je n'étais pas l'homme à femmes que tu as connu en intégrant le cabinet.
J'ai vécu deux ans avec elle jusqu'à ce que je la surprenne dans les bras de mon meilleur ami, celui que je considérais comme mon frère. C'était il y a douze ans. Je suppose que tu comprendras vite de qui je parle...
J'ai toujours eu un profond respect pour Charles Barlowski et je venais de m'associer à lui depuis un an seulement. Il ne connaissait pas Agathe et toute cette histoire. Quitter le cabinet m'était impensable, mais collaborer avec celui qui m'avait poignardé dans le dos n'eut rien d'évident, au début du moins.
Je nourrissais à son encontre une rancune tenace, même si sa trahison m'avait évité de commettre la plus grosse erreur de ma vie. Je m'étais juré de ne plus jamais m'ouvrir à une femme. J'en avais tellement bavé, je refusais que cela se reproduise.
Les années passèrent, ma vie de patachon me convenait.
Et tu as rejoint l'équipe. Antoine a jeté son dévolu sur toi et a tout fait pour te conquérir, jusqu'à y parvenir. À tes yeux, j'étais un bourreau des cœurs, mais peu m'importait, ton amitié et tes éclats de rire cristallins me suffisaient.
Pendant toutes ces années, j'ai parfois eu des mots durs, mais je ne supportais pas de te voir t'enfoncer dans cette relation médiocre avec Antoine. C'était écrit qu'il redeviendrait le coureur qu'il avait toujours été, je ne pouvais me résigner à ce que tu en fasses les frais sans rien dire. Avec du recul, je réalise que j'aurais dû tout te confier dès le départ plutôt que de garder mon secret si longtemps par fierté.
Je ne sais que trop bien ce que tu as traversé à cause de lui, j'aurais dû faire plus encore pour toi. Tu n'as pas idée du nombre de fois où j'ai envisagé de lui démolir le portrait. Tu t'es relevée et j'ai été bluffé par ta combativité insoupçonnée derrière ta si grande gentillesse.
Et puis, il y a eu ce fameux week-end que je n'oublierai jamais. Me livrer à toi au sujet de mes blessures d'enfance signifiait exposer mon cœur, devenir vulnérable. J'ai été odieux, pourtant tu n'as pas cédé. Je crois que c'est là que j'ai compris que je t'aimais.
La suite, tu la connais...
Je relis sa lettre plusieurs fois en déversant des flots de larmes, le cœur battant à tout rompre, le souffle court, bouleversée par ses aveux. Je sais tout de lui, désormais. Le bon comme le mauvais. Le besoin de le retrouver, l'étreindre, le rassurer, lui confier à quel point je l'aime, s'impose à moi telle une évidence.
Un rapide coup d'œil à l'horloge. Midi. S'il n'a pas terminé en audience, cela ne devrait plus tarder. Le tribunal est à quelques encablures de chez moi, j'y serai très vite.
Je recouvre mes esprits sous l'eau chaude de ma douche, tout en expliquant à mon bébé que son père est formidable et quelques minutes après, je quitte l'appartement pour rejoindre l'homme de ma vie.
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